« Des bébés aux personnes âgées, faire de la santé psychique la grande cause nationale d’après-crise » # 23 août 2021

Face aux conséquences de la pandémie de Covid-19 sur la santé mentale, il est temps de rénover la prise en charge et d’imaginer une politique de santé intergénérationnelle et territorialisée, demandent quatre personnalités, dont l’anthropologue Natacha Collomb et le neuropsychiatre Boris Cyrulnik.

 

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Tribune. Stress, dépression, anxiété, troubles émotionnels et psychiques : autant de conséquences de la pandémie de Covid-19. Toutes les populations, classes sociales, classes d’âge sont impactées : bébés, jeunes, pères, mères, travailleurs, personnes âgées, en particulier isolées, malades frappés par le Covid, sans oublier les personnes présentant des troubles psychiques préexistant qui n’ont pu bénéficier d’un suivi homogène durant la crise.

Ces conséquences sur le psychisme sont désormais mieux connues bien qu’à étudier sur le moyen terme. Ces connaissances ainsi que les besoins et les attentes de nos citoyens poussent à imaginer des réponses ambitieuses et ciblées, qui associeraient l’ensemble des acteurs publics et privés de la santé, non seulement les soignants, mais aussi les décideurs dans les domaines du logement, de l’emploi, de l’éducation, des activités physiques, sportives et culturelles.

En limitant rencontres, déplacements, loisirs, interactions sociales, en modifiant les équilibres vie professionnelle et vie personnelle, la pandémie a fait des ravages. Des études se multiplient qui permettent de mieux comprendre, évaluer, réagir… et penser l’après.

Les dernières études disponibles sont sans appel : les états anxieux et dépressifs se maintiennent à des niveaux élevés. La dégradation du sommeil, la baisse du niveau de satisfaction de vie, l’augmentation des idées suicidaires coïncident avec la hausse de la consommation des médicaments psychotropes, indicateur probant de cette fragilisation générale.

Repérage et prise en charge

Alors que de nombreux éléments portent à penser que cette pandémie aura des répercussions sur le long terme et transgénérationnelles, femmes et hommes politiques devraient s’entendre, au-delà des clivages traditionnels, pour faire de la lutte contre la dégradation de la santé psychique de notre pays la grande cause nationale d’après-crise, socle d’une politique de santé globale intergénérationnelle et de proximité. Et, au-delà des formules incantatoires et même des annonces, rénover radicalement la santé mentale et la psychiatrie française.

La pandémie a confirmé, dans le domaine de la santé psychique, comme dans celui de la santé globale dont elle est une partie, l’importance du repérage et de la prise en charge précoce des troubles psychiques, en particulier en mobilisant des dispositifs d’aide à distance jusque-là sous-employés. Des soignants et leurs administrations s’y sont attachés dans un contexte d’impréparation désastreux. Changeons d’échelle de temps et n’oublions pas que les bouleversements en cours doivent être étudiés dans la durée avec l’aide des sciences humaines et sociales.

Les bébés sécurisés d’aujourd’hui seront aussi les adultes et les anciens en bonne santé de demain. Certes, et par un heureux hasard, la période périnatale, dite des 1 000 premiers jours (de la grossesse aux deux ans de l’enfant), faisait dès avant le confinement, de façon concrète et novatrice, l’objet d’une attention particulière au plus haut niveau de l’Etat.

Un rapport (« Les 1 000 premiers jours. Là où tout commence »), remis en septembre 2020 par le président de la commission éponyme, Boris Cyrulnik, a en effet été suivi d’une instruction ministérielle structurante et de moyens, modestes mais symboliquement fondateurs, en faveur des bébés et de leurs parents. Les bébés appellent maintenant à des « babies studies » interdisciplinaires de l’épigénétique aux politiques d’information, de formation et de soins pour la période périnatale.

Potentiellement traumatique

Chez les étudiants, les conséquences ont été catastrophiques dès la première vague en matière de socialisation comme de ressources, en particulier parmi les femmes, les non-binaires, les personnes isolées ou précaires. Plus les étudiants ont été exposés à la pandémie, plus leurs symptômes sont sévères. Le confinement est identifié comme un événement potentiellement traumatique, à peine moins qu’avoir eu un proche décédé du Covid. Ce type d’études se multiplie, appelant des réponses structurelles.

Même le monde de l’entreprise n’est plus étranger à ces questions de santé psychique. Des symptômes psychiques : burn-out, problèmes de sommeil… ont été largement ressentis. Difficultés à gérer les nouvelles modalités du travail à distance, limitation des interactions sociales, désengagement de certains collaborateurs en souffrance psychique : certaines entreprises s’adaptent, pas toutes.

Quant aux anciens, les réponses ont toujours essentiellement visé des besoins d’accompagnement opérationnels, sans véritablement reposer sur une stratégie d’ensemble. Eu égard aux annonces concernant l’autonomie, le grand âge, l’aide à la personne ou les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) du futur, la prise en compte de leur santé psychique doit être un enjeu majeur de la politique de santé de proximité de demain.

Cette crise doit être un déclencheur de rénovation. Forts des acquis du passé, nous devons investir dans les bébés d’aujourd’hui et imaginer une politique de santé intergénérationnelle et territorialisée de soins souple, solide et réactive, fruit d’une politique d’investissement sur l’ensemble du territoire national, accompagnant la santé psychique de celles et ceux qui en ont le plus besoin et corrigeant progressivement les inégalités territoriales de santé et de destin.

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Liste des signataires : Natacha Collomb, anthropologue, chargée de recherche CNRS au Centre Norbert Elias (Marseille), spécialiste de la toute petite enfance et de la psypérinatalité ; Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, président de la commission des 1 000 premiers jours de l’enfant ; Hugo Dubert, cofondateur du cercle de réflexion Demain ensemble ! dont l’un des objectifs est de penser le monde de l’après-Covid ; Michel Dugnat, pédopsychiatre en périnatalité et psychiatre, AP-HM et CH Montfavet-Avignon, président du groupe de travail de la recommandation Repérage, diagnostic et traitement des troubles psychiques périnatals de la Haute Autorité de santé.